L'éducation à la vie affective et sexuelle des jeunes en milieu interculturel
L’Éducation à la Vie Affective et Sexuelle (EVAS) fait partie d’une des nombreuses missions de prévention des Centres de Planning Familiaux depuis de nombreuses années. Le centre dans lequel j’ai la chance d’exercer cette pratique depuis bientôt 6 ans se trouve en plein cœur de Schaerbeek, au sein d’un quartier à forte densité de citoyens issus de Turquie, du Maroc, mais aussi des pays de l’Est. Les jeunes qui fréquentent les écoles dans lesquelles nous organisons ces animations sont pour la plupart nés en Belgique, mais issus d’horizons divers. D’autres sont primo-arrivants. Ce mélange de culture familiale est une des richesses de notre travail, mais donne parfois lieux a certains accrochages ou résistances.
En effet, parler de sexualité avec des jeunes ne va pas de soi. Ce type de thématique apporte son lot de réactions diverses : résistances pour certains, excitations pour d’autres. Rajoutez à cela l’effet de la dynamique de groupe-classe et vous vous trouvez devant un cocktail assez détonant parfois…
Notre équipe d’animatrices de terrain a fait le choix depuis plusieurs années de rencontrer prioritairement les écoles secondaires technique et professionnelle du quartier. Pour les écoles primaires, nous rencontrons toutes les écoles du réseaux communal schaerbeekois. Ce travail de proximité nous permet de rendre l’accessibilité à notre centre plus facile pour ces jeunes. Le public des animations scolaire est caractérisé par la composante multiculturelle. Ceci peut être expliqué par la philosophie de travail dans la proximité du quartier, prônée par notre équipe. Notre public est donc majoritairement composé de jeunes issus de l’immigration (plus anciennes ou récentes). Cette spécificité nous permet d’interroger les notions de cet « entre-deux cultures », souvent peu abordées dans le milieu familial de ces jeunes. En effet, la plupart de ces jeunes nous disent se sentir tiraillés entre leur culture d’origine et celle du pays “d’accueil”, surtout au moment sensible qu’est l’adolescence, moment de construction identitaire parfois difficile.
Pour ce qui est de l’enseignement primaire, nous avons créé un partenariat très étroit avec les centres de Promotion de la Santé à l’Ecole (PSE) qui permet aux classes de 6e primaire de bénéficier de deux séances d’animations, l’une réalisée par les infirmières du centre PSE et l’autre par notre équipe.
Les années-clés dans lesquelles nous intervenons sont les classes de 6e primaire ainsi que les 3e et 5e secondaires. Pourquoi prioritairement ces classes-là ? Notre pratique de terrain nous a, à plusieurs reprises montrée que ces âges correspondent à des étapes-clés de la prévention.
Notre philosophie de travail est la collaboration. Nous travaillons donc en partenariat avec les directions d’écoles, les enseignants et les intervenants parascolaires (PMS, PSE, médiateurs scolaires…) afin de mettre en oeuvre un projet de prévention répondant aux attentes et préoccupations des jeunes.
L’objectif général de ces séances d’animations est de viser au bien-être affectif, sexuel et aussi psychologique des jeunes. Cet objectif peut parfois nous paraitre très lointain lorsqu’on se trouve face à des jeunes qui n’ont que très peu de connaissance du fonctionnement de leur propre corps. En une heure trente de séance, nous devons donc parfois d’abord aborder des aspects anatomophysiologiques de base afin de pouvoir aborder les aspects plus psychoaffectifs liés à la sexualité.
Pour les travailleurs de terrain, l’objectif principal de ces interventions est que les élèves puissent identifier ce qu’est un centre de planning familial, ses missions, les services et professionnels qui y sont proposés.
Les objectifs varient bien évidemment selon l’âge des élèves. Pour les classes de 6e primaire, il s’agit plutôt de parler de l’adolescence et des changements physiques, mais aussi psychologiques qui y sont liés. Les animations réalisées dans l’enseignement secondaire ont plutôt comme objectif d’aborder, pour les 3e année les moyens de contraception, les Maladies et Infections Sexuellement Transmissibles (MST-IST), le premier rapport sexuel, la virginité, les pratiques sexuelles, l’homosexualité… Pour les classes des 5e années, les thèmes abordés sont plutôt de l’ordre du couple, du mariage, des relations entre les femmes et les hommes …
Dans le contexte très spécifique des jeunes issus de l’immigration, ces thèmes sont traités en relation avec les différentes cultures présentes dans le groupe. Parallèlement à cela, ces animations tentent d’apporter aux jeunes des clés dans la construction de leur identité sexuelle. L’objectif des ces animations sera avant tout de créer un espace de parole sans préjugés, ni idées reçues. Cet espace de parole se veut ouvert au rythme des questions de chacun dans un climat de confiance qui permet, dans la mesure du possible, une liberté de parole, tout en maintenant la confidentialité.
Ce travail de terrain apporte autant de richesse pour les jeunes que pour les animatrices. Ces animations donnent souvent lieu à des débats riches et importants. En effet, la plupart de ces jeunes n’ont que très peu d’occasions d’aborder ce type de sujet que ce soit en famille ou au sein de l’école. Mais ces séances nous amènent parfois à rencontrer des postions très rigides de certains jeunes, souvent des garçons. Ces positions rigides concerne la position des femmes au sein de leur culture familiale : importance de la virginité des filles avant le mariage, distinction franche entre les filles « d’ici » et du « pays », les unes considérées comme « pures », que l’on peut épousée et les autres considérées comme « sales », pas dignes d’être des femmes respectables. Ces propos, parfois assez heurtants, mettent parfois à mal les animatrices. Cela créer souvent un fossé entre leurs pratiques et référent culturel et les nôtres. Si l’on y prend pas garde, le débat peut vite glisser vers des clivages « chez nous/chez vous » et donc des incompréhensions. De plus, notre équipe d’animatrice étant elle aussi multiculturelle, les jeunes prennent souvent à partie l’une des animatrices de leurs origines ce qui peut rendre le débat assez « duel ».
Nous devons donc sans cesse remettre du « nous », de l’universel dans nos débat et surtout maintenir une posture d’ouverture à la culture de l’autre tant en rappelant des éléments fondamentaux du vivre ensemble en société.
Notre pratique de terrain nous permet aussi d’utiliser un panel assez important d’outil d’animation, mais aussi d’en créer de nouveau face aux enjeux et réalités qui évoluent.